JÉRÔME DREYFUSS

Depuis près de vingt ans, Jérôme Dreyfuss apporte la dernière touche à la silhouette des Parisiennes avec ses sacs et ses chaussures reconnaissables entre mille. Cette saison, le créateur nancéen continue sur sa lancée de rendre service aux femmes tout en veillant à préserver le monde qui l’entoure. Rencontre.

MONNIER Frères : Vous avez commencé à créer des sacs à main pour vos amies et votre épouse. Etait-ce la même motivation lorsque vous avez lancé la chaussure quelques années plus tard ?
Jérôme Dreyfuss : Non. J’ai créé des sacs pour rendre service à mes copines parce qu’il n’y avait pas de sacs qui correspondaient à leurs envies sur le marché. Il n’y avait que des sacs avec des gros logos, qui étaient très lourds. Donc j’ai simplement essayé d’apporter une réponse à un besoin. La chaussure est venue en complément du sac. C’était vraiment par envie de finir mes silhouettes. J’ai commencé avec le vêtement, puis j’ai créé des sacs à main et la chaussure me manquait.

M.F. : Vous avez souvent qualifié votre marque de féministe. Pourquoi ?
J.D. : Parce que j’ai toujours essayé de créer en respectant les femmes. Je n’ai jamais essayé d’habiller mon fantasme. Pour moi, le travail créatif dans la mode, c’est répondre à des besoins. J’ai du mal à comprendre des trucs comme des pantalons à trois jambes et à plumes... C’est beaucoup plus compliqué de créer la pièce qui répond aux attentes de la femme le jour, l’année où elle en a besoin. Qu’elle puisse vivre avec cette pièce d’une manière hyper naturelle, comme si elle l’avait toujours eue. L’idée de fonctionnalité est vraiment indispensable chez moi. Je n’aime pas contraindre les femmes. J’aime les accompagner, mais certainement pas les contraindre.

M.F. : Vous êtes également très engagé en matière d’écologie. Comment cela se traduit-il ?J.D. : L’écologie c’est un peu comme le respect des femmes. Il y a le respect des femmes et il y a le respect de la nature. C’est très important parce que je ne crois pas que la mode ait vraiment toujours respecté les femmes. Personne ne le dit, mais cette image de la femme maigrissime, de la femme-objet, est créée par des femmes, à la tête des magazines.

Ça pose énormément de questions et moi ça me gêne énormément. Je préfère voir une fille bien dans sa peau, un peu ronde… J’étais scout quand j’étais enfant et le premier commandement c’est : « Tu respecteras la nature ». Aujourd’hui, chez Jérôme Dreyfuss, les peaux sont toutes issues d’élevages en plein air et de l’industrie agro-alimentaire. 80/90% des tannages sont végétaux, c’est-à-dire qu’ils sont faits à partir d’écorces d’arbres et les colorations sont tirées des couleurs végétales. La mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Il va falloir accélérer notre réveil ou on ne pourra plus consommer du tout !

M.F. : La marque elle-même est donc engagée en matière d’écologie…
J.D. : Je n’ai jamais parlé de tous les gestes qu’on fait au jour le jour pour que la production des sacs et leur transport soient plus propres, parce que je n’ai jamais voulu que l’écologie devienne un argument de vente, comme ça l’est pour beaucoup de marques aujourd’hui. Je trouve ça pathétique. Je ne fais pas ça pour qu’on me dise que je suis fantastique. Je le fais parce que c’est une conviction profonde, que j’ai un enfant, des neveux et nièces et des copains qui ont des enfants : je fais ça pour eux. Je ne fais pas ça pour moi ni pour ma société. Je veux informer mes clientes. Cette année, c’est Cœur de Forêt, l’année prochaine j’espère qu’on nettoiera les océans…

M.F. : Justement, parlez nous de votre partenariat avec Cœur de Forêt…
J.D. : On a prévu d’aider un village à s’autogérer en plantant des arbres fruitiers. Le problème de tous ces villages en lisière de bois, qu’ils soient en Indonésie ou tous les pays limitrophes de l’Amazonie, c’est que les villageois vendent leur bois pour vivre car ils n’ont que ça. On y va, on plante des arbres fruitiers et des ruches et on leur apprend à s’en occuper. Ça leur donne des légumes, des fruits, du miel qu’ils peuvent vendre. Une fois qu’ils sont auto-suffisants, on replante les bois. C’est normal de le faire, on devrait tous être obligés de le faire. Ce n’est pas très compliqué, on rajoute un euro sur chaque sac. Cet euro est reversé à l’association, tout comme les marges arrières. Ça nous permet de financer ce partenariat dont on est ravis.

M.F. : Avez-vous prévu de travailler avec d’autres associations ?
J.D. : On est déjà en train de chercher quel sera le projet de l’année prochaine. On a appelé cette opération « Yes Future », en contradiction avec le « No Future » des punks anglais des années 60. On peut avoir un discours hyper négatif sur l’écologie, discours que j’ai eu pendant plusieurs années et qui m’a fatigué. Je me suis aperçu qu’on pouvait aussi voir le verre à moitié plein et que tout ça pouvait être positif. Je crois qu’on est la première génération, depuis la fin de la 2nde Guerre Mondiale à qui on dit « Ben les enfants, vous devez réinventer le monde ».

Mais plutôt que se dire « Mon Dieu c’est terrible », et si on se disait « C’est génial, faisons-le ! » ? On peut le faire et on peut se servir de nos petites notoriétés, nous, créateurs de mode, pour le faire. Mais il faut le faire honnêtement. Il faut arrêter de le faire pour gagner toujours plus d’argent, ça n’a aucun intérêt.

M.F. : Vous avez donc l’espoir d’éduquer vos clientes ?
J.D. : J’ai l’espoir de pouvoir agir sur le moyen terme en tout cas. Il y a quinze ans, quand je tenais ce même discours, tout le monde rigolait. Et d’un seul coup, c’est la mode, donc il n’y a plus que des papiers là-dessus. Tant mieux ! Mais il faudrait qu’on apprenne à anticiper un peu plus les choses. C’est très bien qu’on réussisse maintenant, mais il ne faut pas attendre que la maison brûle.

M.F. : Vous et votre épouse êtes tous deux à la tête de marques réputées pour habiller les Parisiennes. Comment la décririez-vous ?
J.D. : C’est la fille de la rue ! En fait je crois que la Française est une fille bien dans sa peau. On parle toujours du french négligé. Moi j’adore ! La femme française est nature, elle est assez cool et c’est pour ça qu’elle reste un fantasme planétaire. Il y a eu Brigitte Bardot… moi je suis assez fan de Catherine Deneuve. C’est vraiment la femme française : elle est top ! Elle est super classe, elle est super belle… La femme française c’est la culture...

M.F. : Vous créez une mode fonctionnelle, deux mots généralement antinomiques. Comment faites-vous pour imaginer des pièces à la fois belles et pratiques ?

J.D. : Mon boulot, c’est de regarder quels sont les problèmes des gens et d’y apporter des solutions. Il ne faut pas trop réfléchir, il faut simplement apporter la bonne réponse au bon moment. Être 10 ans en avance, ça ne sert à rien. Être 10 ans en retard, c’est ringard. L’apparition des nouvelles technologies a changé la gestuelle des femmes et ça, c’était intéressant. Parce que moi qui adore regarder les filles, d’un seul coup je me suis rendu compte qu’elles ne bougeaient plus pareil et qu’il fallait leur apporter des nouvelles réponses.

M.F. : Les filles du bureau testent-elles toujours les sacs en production ?
J.D. : Oui ! C’est important d’avoir un retour : ça pique, ça gratte, c’est trop lourd, la bandoulière est trop courte… L’esthétique ne peut pas décider seule pour les femmes. C’est la prétention que la mode a et la mode est beaucoup trop prétentieuse. C’est tellement ringard d’imposer une esthétique aux femmes. Je parle de vraies femmes. De filles de 50 ans bien dans leurs baskets qui sont splendides.

M.F. : Le plus important : sac ou chaussures ? Pourquoi ?
J.D. : Ça dépend ce dont elle a besoin ? Je crois que le plus important pour une femme c’est d’être aimée, le sac et les chaussures, on s’en fout.

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